La perle Blue Jean, au cinéma

BLUE JEAN DE GEORGIA OAKLEY

par Xavier Leherpeur

Grande Bretagne. 1988. Le gouvernement libéral et foncièrement réac de Margaret Thatcher envisage de promulguer une loi interdisant toute forme de « promotion » de l’homosexualité en milieu scolaire. Texte hors de propos puisque depuis quelques temps les amours entre garçons ou entre filles ont envahi le domaine public via des films comme My Beautiful Laundrette de Stephen Frears (1985) ou Age of consent, l’album phare des Bronski Beat sorti quatre ans plus tôt. C’est dans ce contexte de lutte à vif (les manifestations se multiplient devant le Parlement et dans les grandes villes) que Jean, professeure d’EPS dans un lycée qu’elle a volontairement choisi éloigné de son domicile, vit sans honte mais sans en faire étalage, son amour pour ses consœurs de cœur. Et en particulier pour son amante, garçonne dont les cheveux ultra courts et le perfecto revendicateur contrastent avec la discrétion diaphane de notre héroïne. Mais lorsque les doutes et les rumeurs se rapprochent un peu trop de Jean et menacent son statut social, elle est contrainte à faire un choix qu’elle finira par regretter. 

S’effacer. Devenir invisible pour citer le titre du très beau documentaire de Sébastien Lifshitz pour vivre sa sexualité. Tel est le destin de cette jeune femme qui se teint les cheveux pour les éclaircir d’un blond presque blanc. Comme pour se fondre encore un peu plus dans la masse anonyme. C’est la belle idée de (dés)incarnation de la réalisatrice scénariste qui, à travers ce personnage de femme assumée mais introvertie, traque ce dilemme douloureux qui fut trop longtemps celui des personnes LGBTQIA+. Une impassibilité de façade que Jean rompt néanmoins lorsqu’elle retrouve ses copines et sa maîtresse dans un bar lesbien où elle peut laisser libre cours à ses désirs. Blue Jean raconte cette honte. Celle que génère le monde autour de vous, créant un sentiment que pourtant vous n’éprouvez pas. Comment s’assumer et s’aimer quand tout autour de vous - la société, les lois et les regards réprobateurs - vous force à vous détester. Paradoxe d’une époque charnière en route vers la reconnaissance, mais encore pavée de douleur et de confusion. La mise en scène, précise et régulière dans sa rythmique mélancolique, fait résonner l’anxiété et l’étouffement du personnage. Elle fait ressentir la claustration de cette ‘prison mentale’ que le monde édifie autour de Jean et dans laquelle, paradoxe suprême, elle a presque fini par se sentir bien. Comme protégée. Avec en arrière-fond cette idée, hélas toujours d’actualité, que le corps de la femme, hétéro ou homo, ne lui appartient jamais complètement, scruté et réprimé par des lois faites par les hommes. La beauté poignante du film résidant en particulier dans sa manière complice de faire entendre le bruit ténu d’une chrysalide trouvant enfin le courage de se fissurer.

Scénario et mise en scène Georgia Oakley / Avec Rosy McEwen, Kerrie Hayes / Compositeur Chris Roe / Photographie Victor Seguin / 1h37 / Royaume Uni

3 questions à Georgia Oakley

Le film est visuellement très beau, particulièrement sensoriel, ce qui convient parfaitement à votre propos. Quelle était votre direction artistique idéale au départ ?

Je cherchais à créer une sorte de vérité subtilement rehaussée dans l'aspect du film. Je voulais que l'esthétique soit ancrée dans les années 80, mais aussi atteindre un sentiment d'intemporalité, inspiré par les films européens et américains de la fin des années 80 et du début des années 90. J'ai travaillé avec mon directeur de la photographie, mon costumier et mon décorateur pour créer des palettes très spécifiques pour les différents espaces que Jean traverse dans le film. Nous n'étions pas trop attachés au réalisme, nous voulions que cela donne l'impression de revenir en arrière sur les souvenirs de quelqu'un.

Rosy McEwen est magnifique. Quel a été le processus avec elle pendant le tournage ?

J'ai choisi Rosy environ un an avant que nous ne terminions le tournage du film, elle connaissait donc très bien le scénario au moment où nous sommes arrivés à Newcastle pour le tournage. J'avais partagé avec elle toutes mes recherches, académiques et visuelles, donc elle avait ça comme point de départ. Ensuite, le temps de répétition était principalement concentré sur Rosy et Kerrie. Passer du temps avec eux deux et travailler à créer un rapport authentique dès la première fois que nous les verrions dans le bar. Avec tous mes acteurs, je cherche à trouver quelqu'un qui corresponde énergiquement au personnage dans mon esprit. Nous ne cherchions pas des caractéristiques physiques, il s'agissait de deux personnes qui sont face à face dans une pièce. Avec Rosy, c'est son immobilité et son aplomb qui m'ont immédiatement attirés vers elle. Travailler avec elle était incroyablement organique parce que je savais qu'elle comprenait ce que j'avais écrit et nous avons pu collaborer pour élever ce personnage de la page à l'écran sans trop de discussions. Les instincts de Rosy sont incroyables ; travailler avec elle était une telle joie.

Pourquoi ne pas raconter une histoire qui se passe aujourd'hui ? Pourquoi cette histoire qui date des années 1980 ? Comment cette histoire résonne-t-elle avec notre époque ?

J'ai senti que tant de facettes de cette histoire me concernaient dans ma propre vie, et j'ai aussi senti qu'il était particulièrement important de raconter cette histoire à un moment où les droits des personnes LGBTQ+ sont plus menacés que jamais.