Les romantiques

La Nuit des traquées de Jean Rolin

La Nuit des traquées de Jean Rolin

Comme chaque année, la rentrée est pléthorique cinématographiquement. L’enthousiasme éprouvé devant ces œuvres impertinentes, mais toujours bienveillantes, tient dans ce qu’elles ont de magistralement poétique, soit faire résonner les troubles du contemporain dans des personnages guettant la félicité : c’est le romantisme qui revient nous saluer. Dans notre compte rendu cannois (cf. notre numéro d’été), nous évoquions la grandeur (et parfois aussi la boulimie) des personnages ; épuisés ou combattants, ils surplombaient les sélections. En cette rentrée, des jeunes terroristes de NOCTURAMA, écrasés par la froideur contemporaine, à la bouleversante Clara (Sonia Braga) dans le miraculeux AQUARIUS, partant en croisade contre le capitalisme intrusif, ou bien les « little men » d’Ira Sachs, dont l’amitié se fragilise à l’épreuve de la gentryfication, Léo, le cinéaste en quête de liberté dans RESTER VERTICAL, ou encore le jeune idéaliste Nero dans le dernier beau film de Rafi Pitts, qui espère se faire naturaliser en s’engageant dans l’armée américaine, le « personnage » n’est donc pas un simple véhicule narratif, mais plutôt une comète, à laquelle on s’attache, car elle résonne avec nos vies. On voit surgir sur l’écran des êtres venus de nulle part, romantiques, en colère, idéalistes, avec des rêves plein les yeux. Brigitte Lahaie, que nous avons rencontrée, orchestre, depuis des décennies, un « personnage » politique afin de répandre son « idée de vie », hédoniste et libératrice. Sa filmographie, détraquée, en fait un visage unique et romantique au sein du cinéma français, une sorte de vagabond inclassable. Le romantisme est toujours pris dans l’étau de l’époque. Toujours perdant face aux considérations économiques pragmatiques, pensées comme plus sérieuses, qui n’envisagent jamais la sensibilité comme force tranquille. Le romantisme, celui qui met la bataille de l’intime au premier plan, à l’épreuve d’une société, d’un monde entier (à l’inverse de celui mièvre et indolore, de FRANTZ de François Ozon), revient en cette rentrée de la manière la plus élégante qui soit.

Thomas AÏDAN