La passion d’être un autre

The Neon Demon de Nicolas Winding Refn

The Neon Demon de Nicolas Winding Refn

D’où vient notre fascination pour les célébrités ? Le dessein de cette enquête dédiée aux stars n’est pas tant de constituer un portfolio des icônes qui ont marqué le cinéma que d’analyser le processus de leur fabrication, et leur localisation contemporaine (où sont-elles ?). De nombreuses décennies séparent peut-être la sublime Lauren Bacall de la jeune et séduisante Elle Fanning, mais l’émotion est la même, tant cette ravissante créature venue du cinéma américain nous subjugue. L’emprunter pour illustrer notre couverture, c’est aussi faire le pari de l’avenir. Guillerette, gracieuse, électrisante, de SOMEWHERE (2011) de Sofia Coppola à THE NEON DEMON (2016) de Nicolas Winding Refn, elle n’a de cesse de créer l’émoi à chaque film avec ses petites moues félines et son sourire délicieux. L’attitude d’un acteur suffit à le starifier auprès du public. Selon Serge Daney, la « passion d’être un autre » laisse perler notre amour pour une figure starifiée, dans l’embêtement d’un éternel présent (« les stars ne meurent jamais »).

Dans ce travail de mystification, le rite de la salle de cinéma est bien entendu partie prenante. En 2013, dans le cadre de Cannes Classics, le Festival de Cannes projetait SUEURS FROIDES (1958) d’Alfred Hitchcock, en présence de son interprète principale, Kim Novak. Il n’y avait rien de plus émouvant que l’idée de revivre ce monument cinématographique à ses côtés ; la magie du film s’en trouvait transcendée. Un film peut être bien plus en fonction du contexte dans lequel il est projeté. L’époque invite tellement à l’éparpillement et à la solitude qu’il n’est pas vain de rappeler le bien-fondé de l’expérience en salle, soit la possibilité d’une retrouvaille communautaire. Cette année, à Cannes, les projections « agitées » de TONI ERDMANN de Maren Ade et de LOVING de Jeff Nichols ont rappelé le pouvoir de la salle, dans tout ce qu’elle a d’énigmatique et de profondément ontologique.

Par un hasard objectif, ce numéro se conclut sur un entretien au long cours avec Jean Douchet, le critique de cinéma le plus libre de tous les temps. Il raconte l’opportunité que peut offrir une expérience en salle, créant de fait une belle continuité avec notre interview de Caroline Champetier en octobre dernier. La salle n’est pas un fétiche, elle est le lieu où l’on souhaite être quelqu’un d’autre. Mais cet « autre » est notre double. Par un effet spéculaire saisissant, le cinéma nous plonge en permanence dans ce qui interpelle notre quotidien, soit la folie empoisonnée de Michèle dans ELLE de Paul Verhoeven ou la solitude de Julieta dans le film homonyme de Pedro Almodóvar, pour ne citer que des films récents. NB : ce numéro d’été inaugure une nouvelle maquette, dans un souci toujours plus grand de clarté et d’intuitivité. Nous vous remercions de votre fidélité, nous sommes touchés de voir que la cinéphilie perdure et qu’elle se multiplie à foison.

Thomas AÏDAN