Trois questions à Antonin Peretjatko
par Maryline Alligier
Vade retro de Antonin Peretjatko (en salles).
Quel fut le point de départ scénaristique et esthétique ? Le pitch de départ fait preuve d’une originalité si rare dans la production cinématographique contemporaine. Comment s’est passé la production en suivant ? Est-ce facile de produire un tel objet de cinéma de nos jours ?
La production de ce film a été tout à fait rocambolesque. Sans Marie Darieussecq présidente de la commission d’avance sur recette, le film serait resté à l’état de scénario. Merci Marie Darieussecq et merci le CNC. Plusieurs producteurs se sont succédés, à chaque fois quasi incapables de faire un budget, le problème était pris à l’envers, le scénario était chiffré et il fallait atteindre le budget pour faire le film alors qu’il suffisait de me dire combien il y avait pour que je fasse rentrer le film dans le budget. Le producteur les moins inventifs se sont transformé en nuage de fumée et c’est finalement un aventurier qui a pris les rênes du film : Christophe Gougeon. Quand on fait un film qui a pour thème « chacun protège son isme » les financeurs ont tout à coup des choses plus urgentes à faire. Scorcese dit que les aventuriers ne sont plus dans le cinéma mais dans le numérique, je pense qu’il a raison, ce qui fait que beaucoup de films se ressemblent… Mais surtout je me suis heurté à l’incompréhension du burlesque, certains financeurs voulaient rationaliser le burlesque : mission impossible. Le burlesque c’est du surréalisme. Quand on fait du cinéma comique qui sort des sentiers battus de TF1 ou M6 c’est très difficile de s’imposer, voyez combien de films il a fallu à Quentin Dupieux pour s’imposer.
Il y a une dimension carnavalesque, voire même excentrique, dans le film qui est réjouissante, tout comme le mélange des genres, comment avez-vous travaillé l’équilibre globale en ce sens ?
L’équilibre est une histoire de rythme. Le film a des ruptures de rythme, des coups de frein, des ralentissements, des accélérations, etc. D’expérience je sais qu’il ne faut pas commencer l’excentricité trop fort en début de film. Il faut installer un climat qu’on peut faire dérailler seulement au bout de 10 minutes. Dans VADE RETRO je bénéficie de l’a priori que le genre transporte, donc on sait qu’on va sortir du réel. On peut donc pousser les curseurs plus loin. Ensuite il faut pouvoir faire accepter de trahir les codes. Par rapport à l’excentricité, je montre le monde tel que je le perçois, le décalage n’est ni une obsession ni une recherche, celui qui croirait cela ne comprendrait rien à ce qu’est un film d’auteur : un regard qu’un.e cinéaste (pro)pose sur le monde. Un film est un mensonge qui dit la vérité. La mise en scène transforme le réel. Ensuite le thème où personne n’est ce qu’il prétend être, se décline tout au long du film : homme / femme, mortel / vivant, sauveur/ fossoyeur, jeune/ vieux, etc . Le tout est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin dans l’accumulation.
Cet aspect grand guignol de l’oeuvre qui fait preuve de transgression est un geste politique. Est-ce que vous le revendiquez ?
Bien sûr ! Je crois en la farce comme geste transgressif. À partir du moment où on est dans la farce, il faut que la forme bouscule le spectateur. J’ai conscience que cela peut agacer. La farce appuie là où il ne faut pas, comme pour se venger du film, certains font de grossiers contre-sens en faisant dire au film ce qu’il ne dit pas : on m’a rapporté que des hurluberlus pensaient que je me moquais du consentement. Rien de plus absurde puisque tout le film dit le contraire. Simplement lorsque Arielle Dombasle qui joue la mère de Norbert dit qu’avant de mordre il faut désormais demander l’autorisation, c’est le même type de gag quand Ma Dalton dit à Joe Dalton de ne pas attaquer la banque où elle a ses économies. Le gag ne se moque pas du consentement il se moque de l’opportunisme d’une famille de vampire qui a mordu sans jamais se préoccuper des autres. Cela veut dire que des gens de se fondent dans la pensée de leur époque pour ne pas avoir de problème, par pur opportunisme (chacun protège son « isme » ). Alors oui, évoquer le consentement en faisant un gag est transgressif au sens où des hayatollas ont décrété qu’il y aurait des sujets où l’humour serait suspect. C’est un relnet de ce vieux réflexe judéo-chrétien qui excommunie le rire : « Jesus ne riait jamais. Donc le rire est diabolique ». Il n’y a que dans « La Voie Lactée » que Bunuel fait rire Jesus aux éclats. Mais c’est un surréaliste. Quand on joue sur l’ironie ou l’absurde, il faut s’attendre à ce que certains n’y comprennent rien, ce fut le cas pour « La vie de Brian » des Monthy Python. J’aurais dû leur dédier mon film. Tiens, d’ailleurs je dédie mon film aux Monty Python.
VADE RETRO à découvrir en salles (Paname Distribution)