QUEER PANORAMA

par Jérôme d’Estais

Queerpanorama de Jun Li.

A Hong Kong, un jeune homme multipliant les rencontres sexuelles, se métamorphose à chaque nouvelle date en endossant l'identité du partenaire précédent (pour la plupart des expatriés)  ̶  prénoms, professions, passions, fétiches, éléments de langage… ̶ , à partir des confidences recueillies sur l’oreiller.

Directement inspiré de la vie sexuelle de Jun Li, le réalisateur, et des histoires qu’ont pu lui raconter ses amants, tourné avec certains acteurs non professionnels endossant, au côté du magnétique Jayden Chung, leur propre rôle, le film, à la fois autobiographie, miroir de la solitude des habitants des grandes villes en milieu sexuellement intempéré et allégorie politique de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine, menaçait sur le papier de n’être, côté pile, qu’une autofiction sexuelle faussement dérangeante de plus, ou côté face, un simple objet chic et conceptuel suffoquant sous son dispositif de départ.

Pour notre plus grand bonheur, tourné dans un séduisant noir et blanc et en plans fixes, alternant moments silencieux et solitaires, dialogues et scènes sexuelles, filmées de manière frontale mais jamais voyeuriste, construit organiquement de manière épisodique, Queerpanorama, sobre et fin, évite avec brio et élégance tous ces écueils.

L’intime et le politique s’agencent ainsi tout naturellement, la perte d’identité du personnage principal, la recherche de soi, autant que de l’autre, la pénétration par un corps étranger, au sens allégorique autant que littéral, entrant subtilement en résonance avec le décor même du film, le Hong Kong de 2020, au moment de la nouvelle loi sur la sécurité nationale promulguée par la Chine et des soulèvements populaires qui ont suivi : une ville et une région en pleine mutation, tiraillées entre deux histoires, traversée par des mouvements contraires, oscillant, comme le héros du film de Jun Li, entre intérêt pour l’Autre, solitude et désespoir, voire violence, come lorsque le jeune homme revient couvert de bleus et d’ecchymoses, d’une nuit de cruising. De même, en rythme avec la figure vide qu’il a créée, se vidant pour mieux se remplir au contact des autres, le film, ne cesse de se défaire pour mieux se reconstruire devant les yeux d’un spectateur, fasciné jusqu’au bout, devant tant de beau mystère.

THOMAS AIDAN