LE GROUPE OUEST PLUS FORT QUE LA CRISE

 

Chaque année, le Groupe Ouest sélectionne quelques auteurs pour les accompagner dans leurs futurs scénarios. Cette année, la Sélection Annuelle (dont fait d’ailleurs partie le jeune réalisateur de Girl, Lukas Dhont, Caméra d’or 2019) fut dévoilée en plein confinement. Nous avons souhaité nous entretenir avec Antoine Le Bos, le grand pape de cet îlot artistique breton, pour prendre la température sur comment les scénaristes se portent à l’heure de la crise.

 
_MOD5621 Sélection Annuelle 2017 © Brigitte Bouillot.jpg

En quoi consiste la Sélection Annuelle du Groupe Ouest ?

La SA, c'est en quelque sorte l'origine du Groupe Ouest, sa matrice. Avec le temps, c'est devenu aussi un peu sa vitrine pour les auteurs francophone. II y a 14 ans, en créant la SA pour 6 auteurs par an (devenus 8 depuis) il s'agissait de tenter l'expérience d'un dispositif collectif expérimental créé par des auteurs pour des auteurs, pour propulser le développement de projets de long-métrage (du 1er au 3e long-métrage) donc plutôt pour des gens en début de carrière, mais pas seulement. Le tout dans un village au bout du Finistère taillé sur mesure pour que les auteurs se sentent à la fois chez eux, protégés, dorlotés, et totalement à l'écart du piège du quotidien, de leur cadre de vie habituel. Le dispositif devait permettre pour chacun un plongeon en eaux profondes dans leur projet de film et d'histoire, baigné dans la respiration quotidienne des marées, le cheminage brainstormant sur ces immenses plages de sable blanc pendant des heures, les croisement de regards de consultants accoucheurs tous les jours. Et puis pas de parole de maître, pas de vérité, juste de la maïeutique et du processus dialectique, juste des ouvertures de possibles, de la recherche de « ce qui trouble au fond », et de l'approfondissement du sens. Les toutes premières années, pas mal d'auteurs venaient là surtout pour écrire face à la mer, en se méfiant du principe du travail collectif, de l'entraide organisée. Avec le temps, c'est devenu l'inverse: l'entraide, le renforcement des uns par les autres, c'est ce que les auteurs viennent chercher ici avant tout, quelle que soit leur génération ! Et avec le temps, la Sélection Annuelle et son esprit d'expérimentation ont généré par capillarité ou contamination tout ce qui s'agite au Groupe Ouest : LIM-Less is more, Puissance & Âme, la Préécriture, L'Expérience Sérielle avec Arte, etc...

 
Antoine Le Bot, fondateur et co-directeur du Groupe Ouest. Photo © Brigitte Bouillot | Le Groupe Ouest

Antoine Le Bot, fondateur et co-directeur du Groupe Ouest. Photo © Brigitte Bouillot | Le Groupe Ouest

 

Cette Sélection 2020 arrive dans un moment critique pour le cinéma - avec la fermeture « temporaire » des salles de cinéma ? Comment vivez-vous ce moment ?

Le moment qu'on traverse avec le virus et ses conséquences nous donnent une responsabilité plus intense. Notre métier est de soutenir et de renforcer l’accouchement de récits contemporains pour le cinéma et plus globalement pour la fiction. Or l'effondrement du sens dans ce que devient notre monde, l'invasion de l'absurde et les conséquences de l'effritement des horizons politiques renforcent le besoin de construire du sens sur les écrans. Sens politiques, mais aussi poétiques, métaphysiques... A quoi sert-il de faire société, à quoi sert-il d'être humain ? La question n'est plus optionnelle, elle devient vitale. Le cinéma indépendant doit se renforcer tant dans sa fabrique de sens que dans son adresse aux humains, au public! Et le récit tant dans ses sources d'inspirations que ses visées doit s'arracher à ses archétypes industriels. Le récit du héros propre aux grandes années d'Hollywood va peut-être devoir laisser la place à des récits de reconstruction collectives ? Cette crise du sens, main dans la main avec les fissures qui sont désormais patentes dans nos métiers, font naître un appétit de renouveau qu'on sent très puissamment chez les auteurs, et c'est du coup follement mobilisant.

Comment réagissent les artistes de la Sélection Annuelle actuellement avec ce que nous vivons ? Comment dialoguez vous avec eux ?

On pourra vous en dire plus dans 15 jours, car on va les accueillir le 18 juin pour leur première session de travail en live ! Jusqu'à présent, nous n'avons pu travailler avec eux que via internet à cause du confinement. C'était forcément frustrant en même temps qu'une expérience assez hors norme a été créée avec eux, avec les deux consultants qui ont lancé l'aventure avec eux en avril (il s'agissait du canadien Marcel Beaulieu, notre grand frère de scénario, avec sa complice suisse Séverine Cornamusaz). Nous avons choisi ces projets et ces auteurs parce qu'ils sont très en prise avec les convulsions du monde d'aujourd'hui. Leur implication les uns pour les autres a été assez impressionnante, comme si tous poussaient derrière chacun ! Ils sont évidemment très ébranlés par ce qui se passe. S'intéresser au monde est devenu une nécessité, on dirait, sans quoi les projets deviennent vite insipides... Dans 15 jours, Atiq Rahimi remplacera Séverine, car l'un des deux consultants tourne systématiquement. Le binôme Atiq-Marcel (l'Afghan et l'Amérindien opéraient déjà l'an dernier !) est assez propulsif pour stimuler la fabrique de sens, on a hâte de voir ça !

L’effondrement du sens dans ce que devient notre monde, l’invasion de l’absurde et les conséquences de l’effritement des horizons politiques renforcent le besoin de construire du sens sur les écrans.

Il est toujours difficile de se projeter en tant que cinéaste ou scénariste, mais la période rend l’incertitude encore plus anxiogène. Voyez-vous une porte de sortie ? Allez-vous modifier vos méthodes, votre accompagnement ? Le Groupe Ouest va-t-il se transformer ?

Le Groupe Ouest s'est construit comme un lieu de travail en prise avec le besoin pour les auteurs de cinéma et de fiction de s'entraîder pour prendre en main ce sujet délicat et vital qu'est la fabrique du sens dans un monde déboussolé. Tout ce qui contribue à un réveil de ce combat humaniste nous met aux aguets. La porte de sortie, s'il en existe une, consiste pour nous dans le renforcement d'un combat de désindustrialisation des esprits. A ce jour, seule l'Europe semble capable de mener à bien cet effort. Nos méthodes se transforment depuis un moment en collaborant avec la Belgique, les scandinaves, l'Europe de l'est, les Balkans, mais aussi l'Afrique. Sortir de schémas de récits simplificateurs des grands studios qui déroulent (involontairement ?) le tapis rouge à des Trump ou assimilés, le faire en renforçant le lien physique au spectateur, c'est l'enjeu, et c'est passionnant. C'est pourquoi nous faisons avancer avec de plus en plus de foi le StoryTANK, premier Think Tank européen à faire travailler ensemble professionnels du scénario et chercheurs des sciences cognitives, sciences humaines, physiologie des émotions... Michael Moore disait récemment qu'il nous faut apprendre à raconter des histoires autrement... C'est pour nous un chantier de première nécessité !

Comment va le Groupe Ouest, quel bilan faites-vous après toutes ces années ?

Le Groupe Ouest va plutôt bien, il est nourri des désirs cumulés de tous ces auteurs agités qui viennent travailler sur nos plages, près de 200 par an, plus de 35 pays chaque année. On sculpte avec eux une sorte d'utopie iodée et villageoise qui nous permet de garder le sourire !

Propos recueillis par Thomas Aïdan, par email, en juin.

Des auteurs du Groupe Ouest en train de travailler à Brignogan.

Des auteurs du Groupe Ouest en train de travailler à Brignogan.

En savoir plus sur Le Groupe Ouest : http://www.legroupeouest.com