Festival Même pas peur à La Réunion : Jour 4

2+1 = 3 mères

par Noémie Luciani

 

En 2021, le daily Même pas peur a la bosse des maths : je vous parle de deux courts et d’un long qui travaillent la même idée chacun à leur manière - et de la programmation comme art d’imaginer ces rencontres.

 
A Mind Sang de Vier Nev.

A Mind Sang de Vier Nev.

A Mind Sang de Vier Nev (Portugal, 6 minutes)

Samedi après-midi à la Réunion, le traditionnel programme de courts métrages animés et ces six minutes de poésie pure. Expérimentateur passionné, le portugais Vier Nev travaille autour de projets comme A Terra é Tela (une exposition/visite en réalité augmentée, par le biais d’une application, de la ville de Porto) à transformer notre regard sur la réalité. Le court métrage sans paroles A Mind Sang s’intéresse au paysage intérieur. Mettant en mouvement des corps selon un principe d’image d’Epinal (il y a toujours deux images en une : les lignes d’un visage de profil sont aussi celles d’une silhouette étendue), Vier Nev nous ouvre avec une virtuosité tranquille des passages entre différents états sensoriels et émotionnels qui constituent l’expérience de la maternité. Le résultat est fascinant et se dérobe aux mots - raison de plus pour le voir et l’écouter.


Blocks de Bridget Moloney (Etats-Unis, 10 minutes)

Même pas peur avait programmé l’an dernier en soirée de clôture le magnifique Swallow, long métrage de Carlo Mirabella-Davis, dans lequel une jeune femme enceinte atteinte de la maladie de Pica se mettait à avaler de petits objets. A la dernière séance de courts de cette édition 2021, Blocks se présente en écho distant à cette histoire-là, sous une forme plus ludique mais tout aussi fine dans ce qu’elle pointe du vertige maternel. Bien qu’elle aime à parler féminisme et ne semble pas mal vivre l’expérience maternelle et conjugale, la jeune mère qu’on y rencontre passe beaucoup - un peu trop - de temps à ranger autour d’elle. Elle garde le sourire, mais son corps se révolte : elle se met à vomir des pièces de Lego qu’elle n’a pas avalées. Dix minutes de film suffisent à Bridget Moloney pour déployer avec beaucoup de malice et d’intelligence le fort potentiel de son idée folle en matière de lecture symbolique : toute une leçon à en tirer, sans drame ni mièvrerie, sur la tâche difficile de préserver sa place dans ce grand bazar qu’est la maternité.

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Wendy de Benh Zeitlin (États-Unis, 1h52)

Sous l’apparent confort d’un film “tout public” qui aurait dû être l’une des grandes sorties de Noël 2020, une double prise de risque. Pour Benh Zeitlin, d’abord (Les Bêtes du Sud Sauvage), celui qu’il y a toujours à s’attaquer à un monument : Peter Pan de J.M. Barrie, si souvent adapté et sous tant de formes qu’il faut être bien sûr de son geste pour en fendre à nouveau l’écorce en quête de sève. Le geste de Zeitlin est radical : en équilibre entre le noir Loisel et le bonbon Disney, il joue sur une île volcanique que les fées n’habitent plus à l’alchimiste, filmant tout près des pierres pour en extraire de la poussière magique à peine observable à l’oeil nu. La mère, ici, n’est pas Wendy, qu’on réduit souvent à de supposés instincts féminins de “petite maman” pour Garçons Perdus. C’est une créature aquatique merveilleuse, qu’on voit à peine mais qu’il faut, pour vivre au pied d’un volcan, croire toujours prête à vous tirer de l’eau. C’est une femme qui travaille trop, héroïne invisible, qui se fraie au milieu de vagues de fatigue et d’un restaurant routier à tenir des failles temporelles pour raconter une histoire du soir à ses enfants. Il y aurait eu cent façons de manquer ce film bouleversant, qui tient en funambule sur le fil d’une réécriture pleine d’intelligence, par la grâce de jeunes acteurs merveilleusement filmés.


Second risque, moins visible et tout aussi réel : qu’un festival de cinéma fantastique, qui a en onze ans habitué ses spectateurs à vivre au cinéma des expériences pour le moins éprouvantes, choisisse, après les avoir fait passer par Lux Aeterna (Gaspar Noé) ou Les animaux anonymes (Baptiste Rouveure) de les faire accoster sur ces terres. Le fantastique ici est si ténu qu’il faut accepter, contre son orgueil, de laver ses yeux aguerris de festivalier qui en a vu d’autres et d’en attraper la magie avec des mains d’enfants - mais dans cette année qui n’a pas encore dépouillé l’âpreté de la précédente, quelle récompense !

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Merci au Festival Même pas peur pour ces beaux moments de cinéma à distance.