Festival Même pas peur à La Réunion : Jour 3

2+1 = 3 contes défaits

par Noémie Luciani

 

En 2021, le daily Même pas peur a la bosse des maths : je vous parle de deux courts et d’un long qui travaillent la même idée chacun à leur manière - et de la programmation comme art d’imaginer ces rencontres.

 
Hunting Season de Shannon Kohli.

Hunting Season de Shannon Kohli.

Hunting Season de Shannon Kohli (Canada, 12 minutes)

Toute la journée des jeudi et vendredi est à Même pas peur consacrée aux scolaires. Le matin appartient aux écoliers, l’après-midi aux collégiens. Le jeudi, les classes de sixième et cinquième avaient découvert dans leur programme de courts métrages Hansel de Vivian Papageorgiou (Grèce, 17 minutes) et fortement réagi pendant les temps d’échange à cette réécriture mosaïque croisant avec une créativité qui leur avait semblé déconcertante les contes les plus connus du patrimoine européen. Aux élèves de quatrième et troisième reçus le vendredi, on proposait avec Hunting season l’expérience inverse : non plus le jeu de piste multiréférentiel mais l’irruption tardive, inattendue, non moins déconcertante d’un merveilleux dépouillé de paillettes dans une station service au milieu de nulle part où une jeune femme mélancolique fait le plein, toutes les nuits, pour les rares voyageurs. Coupé net, en laissant son dénouement suspendu, ce conte triste est de ceux qui vous laissent écrire la morale, et sa magie ténue ouvre bien des possibles : reconnaître sous la casquette et le vilain gilet de pompiste une princesse oubliée du monde et d’elle-même, dénier à tous les hommes sans exception le rôle du prince, jeter au contraire toutes les étiquettes et la merveille, même, pour observer de plus près le réel triste, délicatement croqué, que travaille la réalisatrice canadienne.


Intolerance de Giuliano Giacomelli et Lorenzo Giovenga (Italie, 15 minutes)

Les écoliers ont repris le bus, mais le programme de courts du soir continue de jouer avec les contes. Portrait d’un sans-abri malentendant qui lui inspire un travail de son immersif d’une grande finesse, Intolerance construit comme Hunting season, bien que sur un canevas narratif plus complexe, son chemin secret vers un avènement du conte en plein cœur de la nuit. Dans le noir et blanc superbement éclairé de Giuliano Giacomelli et Lorenzo Giovenga, le jeu sensible de Marco Marchese et Marial Bajma Riva dégage une grâce triste et intemporelle que j’aurais souhaité voir s’étendre au-delà d’un quart d’heure - il y aurait un livre et bien d’autres films à faire sur les aventures à venir de ces deux-là. A la différence de Hunting season, Intolérance poursuit sa route après le dénouement, dans l’écho de notre surprise. Il la décuple même, imposant une morale dérangeante, sombre, fantasque et malicieuse, et si collée en dépit de la féérie visuelle à la toute-petitesse du coeur humain qu’on est bien obligé, bon gré mal gré, de la prendre pour soi, pour tous, et d’en faire notre miel.

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Hunted de Vincent Paronnaud (France / Belgique / Irlande, 87 minutes)

Les vieux contes sont inépuisables. Attendri jusqu’à la mièvrerie au gré des siècles sous le marteau de boucher des éditeurs jeunesse, le petit chaperon rouge retrouve devant la caméra de Vincent Paronnaud son mordant médiéval. La petite fille est une femme (Lucie Debay), le loup (Arieh Worthalter) moins préoccupé de son estomac que de satisfaire des pulsions lubrico-cinéphiliques macabres, le chasseur est trop jeune ou à la retraite et visible nulle part, ou bien n’est-il peut-être tout simplement plus temps pour les femmes d’attendre en serrant leur mouchoir le mâle sauveur. Vrai film de genre, Hunted a pourtant les deux pieds plantés dans l’ère du temps. La lutte pour la survie y est montrée comme une passion, au sens douloureux mais tendu vers son sens amoureux où convergent tous les vertiges - amour des comédiens pour leur métier de fou, qui transpire à chaque scène, amour du conteur-cinéaste pour son histoire, amour de l’homme pour la femme et de la femme pour elle-même telle qu’elle se découvre transfigurée, puissante, une fois dégagé ce chasseur qui n’avait jamais été indispensable.

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