BRIEF HISTORY OF A FAMILY de Lin Jianjie

par Xavier Leherpeur

Tout commence par une altercation entre deux élèves dans un lycée. Wei, l’un de ses camarades, vient en aide au blessé et l’invite chez lui. Porte d’entrée littéralement et symboliquement franchie pour le jeune Shuo qui va peu à peu pénétrer l’intimité d’une famille chinoise d’une classe sociale nettement supérieure à la sienne. Une famille composée par un père indifférent, une mère passant son temps à projeter sur son fils un avenir stakhanoviste dont il n’a pas grand-chose à faire et ce dernier, épuisé par le poids écrasant et peu épanouissant de ce modèle imposé. L’arrivée inopinée de Shuo, enfant « adopté », va déplacer sentiments et espoirs, les parents finissant clairement et sans vraiment s’en cacher par préférer cet étranger dont la sagesse, l’assiduité scolaire et les ambitions répondent plus à leurs attentes. Le titre est à lui seul porteur de toute l’ironie glaçante de cette histoire de « remplacement ». Une « brève histoire » de cellule familiale définie telle quelle par des décennies de politiques natales (celle de l’enfant unique est clairement dénoncée comme l’origine principale de cette fiction) et ultra consuméristes dans la Chine contemporaine. Un schéma sociétal structurel, pur produit de cette course effrénée à l’excellence individualiste n’ayant que faire des mauvais citoyens refusant de se plier au modèle dominant. Une perte de la compassion parents/enfants, sacrifiée sur l’autel de la réussite. Le double sens du titre se retrouve aussi dans la mise en scène qui détourne les codes narratifs et visuels du cinéma de genre (arrivée d’un élément extérieur disloquant sciemment de l’intérieur la rassurante représentation de la famille), la froideur clinique du découpage (avec perturbation de la perspective de la caméra par un principe aigu d’angles et de hors-champ) qui distille à merveille sa tension et son anxiété. Le tout parcouru par de subliminaux troubles érotiques (entre les deux garçons, mais également entre la mère et Shuo) et cette manière perfide et poignante de raconter cette histoire à travers les yeux de sa principale victime, les motivations réelles de Wei demeurant supputées mais jamais explicitées. L’étranglement de Shuo et sa solitude sont métaphoriquement mis en images par un jeu de zoom et d’iris qui cristallisent ce jeu du chat et de la souris échappant à tout systématisme formel grâce à la force d’incarnation des acteurs et au frisson sensuel parcourant ce réjouissant premier film.

ACTUELLEMENT EN SALLES (TANDEM DISTRIBUTION).

Avec Lin Muran, Sun Xilun, Guo Keyu

Scénario Lin Jianjie

Image Zhang Jiahao

Montage Per K. Kirkegaard

Musique Toke Brorson Odin

Format Numérique. Couleur. 99 min

Chine

THOMAS AIDAN