Roma, Roma, Roma

Roma de Alfonso Cuarón

Roma de Alfonso Cuarón

Les vives réactions, après lecture de l’enquête sur Netflix et la salle de cinéma publiée dans notre dernier numéro, de la part de certains de nos lecteurs, d’exploitants, de producteurs ou de distributeurs (par email ou sur le web), mesurent bien l’ampleur du débat. Pourtant, l’institution ne semble pas réagir – aucun « grand média » ne s’est par exemple fait l’écho de notre longue enquête (40 pages !). En 2019, Scorsese et del Toro sortiront uniquement leurs films sur Netflix, Refn présentera sa série tant attendue aux abonnés Amazon Prime, personne ne semble s’en alerter. Pourquoi personne n’a-t-il écrit combien la promotion de ROMA a paru complètement fascinante par rapport à ce que l’on aurait pu imaginer pour ce type de films ? Un affichage national XXL, des avant-premières, des discussions émerveillées sur les réseaux sociaux. Qu’un film tourné en 70 mm, avec des acteurs inconnus, en noir et blanc, étalé sur plus de deux heures, fasse un tel bruit, c’était quand même loin d’être gagné. Tout le monde n’avait que ROMA à la bouche en décembre, ROMA, ROMA, ROMA. Ne soyons pas naïfs, Netflix jouait gros avec cette « sortie », il fallait à tout prix faire événement pour pérenniser les ambitions futures, mais il faut aussi prendre acte de la prouesse de la plateforme : avoir su prouver à tous ceux qui pensaient le « cinéma d’auteur » mort et enterré que le public avait encore à cœur de voir des films comme celui de Cuarón. Ce qui change, c’est le dialogue avec les publics, la manière dont les œuvres leur sont présentées. Allons-nous continuer à fermer les yeux ? À écrire, comme certains de nos confrères, que le monde dans lequel nous entrons est impitoyable et stérile ? Le changement se réalise, qu’on le veuille ou non ; les jeunes générations prennent désormais Netflix comme un parangon générationnel, et au lieu d’accompagner (notamment les plateformes dans la mise en valeur d’œuvres plus indépendantes, moins calibrées), on préfère mépriser. À voir la manière dont l’intelligentsia élitiste a passé sous silence THE HAUNTING OF HILL HOUSE alors qu’elle a été un point névralgique esthétique des 18-35 ans, on se demande franchement où l’on va. Veut-on subir le monde qui vient, ou plutôt y planter notre drapeau ? Préférons-nous être victimes plutôt qu’acteurs ? Les jeunes générations ont aussi besoin de repères, de guides, comme ceux que Rafik Djoumi appelait de ses vœux dans notre premier numéro, et nous voyons bien combien elles sont seules, à buller chez elles, depuis leur ordinateur, sans presque aucune reconnaissance. Ce qui se joue en vérité dans cette histoire, ce n’est pas la peur de voir un système disparaître, mais de voir éclater au grand jour un mépris assumé de la jeunesse. Il n’y a pas de hasard si nous avons décidé de faire l’éloge des personnages de fiction dans ce numéro. Parce que ce sont des boîtes à Idées, et que grâce à eux, nous voyons le « monde » dans toute sa diversité.

Thomas AÏDAN