A real hero

Nicolas Winding Refn sur le tournage de Too Old to Die Young

Nicolas Winding Refn sur le tournage de Too Old to Die Young

Pourquoi certains films s’évaporent-ils si vite dans notre esprit quand d’autres entretiennent une mémoire indéfectible ? Ce qui sépare un film académique d’un chef-d’œuvre, c’est ce sentiment que quelque chose du film habite encore notre échine. Cela peut être un objet, un mouvement, un dialogue, une musique – des petites choses qui créent l’émotion et surpassent l’objet dans lequel elles se trouvent et nous replongent à chaque fois dans une stase immédiate. Songeons au Prélude de L’Or du Rhin de Wagner dans LE NOUVEAU MONDE (2005), à la traversée en barque dans LA NUIT DU CHASSEUR (1955), à Ingrid Bergman bouleversante en mère incapable dans SONATE D’AUTOMNE (1978). Le cinéma, à son paroxysme esthétique, se parcellise dans notre tête, comme des fragments. On l’a déjà dit cet été (no 17), mais les cinéastes fétichistes sont souvent au plus près de la « vérité », ils établissent un pacte de confiance avec le spectateur et nous entraînent loin dans leur imaginaire. Il n’y a pas de subterfuge, seulement un partage généreux et sensoriel. Nicolas Winding Refn est de ces cinéastes. Ses films sont le lieu où tous ses fétiches gisent et se reproduisent. Son cinéma n’est pas une suite de répliques et de nœuds dramatiques, ce sont des blocs de temps, des poches sensitives qui traduisent la violence, le désir et l’amour. Tout cela pétri avec une tendresse non feinte, une féminité que Refn semble désormais assumer. À l’approche de TOO OLD TO DIE YOUNG, série produite et bientôt diffusée sur Amazon, qui s’annonce comme l’événement esthétique de 2019, une sorte de TWIN PEAKS 2.0, et à l’heure de la sortie en France de son exceptionnelle plateforme de streaming byNWR, il semblait opportun de partir à sa rencontre, sur ses terres danoises, mais aussi de jouer la carte de la constellation, comme pour Jeff Nichols (no 8) et Lars von Trier (no 18), soit converser avec ses collaborateurs les plus proches. On prend alors conscience combien le cinéma crée des familles et scelle des amitiés profondes et durables. Darius Khondji, le dernier arrivé dans la bande, ne tarit pas d’éloges sur Refn et le voit déjà comme un « frère ». Ce numéro est aussi l’occasion de replonger dans l’œuvre kaléidoscopique et délirante du cinéaste danois, pour préparer l’arrivée de sa série ou de son « long film ». Mais Refn semble se moquer des contingences, il crée comme bon lui semble, sans crainte ni amertume. L’époque change ? Qu’elle change ! Il y aura toujours des artistes qui hurleront avec une candeur infinie l’époque dans laquelle nous sommes. Nous avons titré en couverture : « Refn, cinéaste pour le futur. » Un cinéaste qui sait saisir son temps et investir le terrain du monde de demain avec intelligence. Il est exaltant de voir cette bulle d’électricité vibrante, au charisme indéniable, livrer de pareilles œuvres, modernes et hypnotiques. Il est la voie à suivre.

Thomas AÏDAN