Puissance électrique

Too Old to Die Young de Nicolas Winding Refn

Too Old to Die Young de Nicolas Winding Refn

Il est déconcertant de lire les avis sur la série dionysiaque de Nicolas Winding Refn, TOO OLD TO DIE YOUNG. De concert, presses française et internationale parlent d’une œuvre « vide », « longue », « lente ». Pour Le Parisien, il s’agit carrément d’une « sortie de route », Konbini ose sans états d’âme affirmer que « le style NWR n’est pas franchement compatible avec un format sérialisant » et pour The Economist, c’est une honte d’avoir laissé un cinéaste en roue libre à ce point. Étrange de reprocher à un cinéaste de créer en totale liberté. Avec TOO OLD TO DIE YOUNG, certains évoqueront une épreuve à endurer, nous parlerons de splendeur à contempler. Dans « contempler », il y a l’idée d’une œuvre qui prend son temps pour se prêter à notre regard. Si la liberté, tant désirée, se voit aujourd’hui conspuée, y compris par ceux qui en vantent d’ordinaire les mérites, comment ne pas devenir complètement schizo ? Il y a aussi cette impossibilité chronique pour certains spectateurs d’accepter qu’une série ne soit pas qu’une suite d’épisodes aux nœuds dramatiques saillants, mais plutôt dix films, dix blocs de temps, qui se répondent entre eux selon une même équation, soit la rencontre avec un nouveau langage qui utilise les émotions, les couleurs, le temps, plutôt que le scénario et le dialogue. « Le temps est un fleuve », entend-on en plein cœur de l’épisode 3. D’où cette sensation inouïe, où l’on ne sait pas où l’on navigue, où l’on se perd sans crier gare. Le guide Refn est là pour nous aider à nous détacher du logos social, à nous évader avec lui dans un (son) monde pétri de fantasmes. On n’avait pas ressenti un dépaysement aussi électrisant depuis longtemps. Ce TWIN PEAKS du xxie siècle prend acte de la naissance du numérique et fait de ces « dix films » un manifeste pour notre époque : distorsion de la réalité, sentiment aigu de solitude. Darius Khondji ne nous avait pas menti en parlant d’une expérimentation constante. Ce chef-d’œuvre intense et planant donne tout ce qu’il a dans le ventre, sur la durée, comme une drogue douce qui s’infuse progressivement, portée par la bande-son cristalline de Cliff Martinez. Nos quarante pages en mars dernier promettaient un choc d’une ampleur sans précédent : la promesse est tenue. À l’heure des films dominés par « l’action », surexcités, voilà une œuvre qui nous excite réellement, non par les faits, mais par la mise en scène : chaque plan est d’une splendeur étourdissante. Il y a plus de cinéma dans chaque épisode de TOO OLD TO DIE YOUNG que dans tout ce que l’on nous a proposé en salles ces derniers mois. Il faut souligner à quel point ces séquences sont en train, sous nos yeux, de laisser une empreinte avant-gardiste de ce que seront les images de demain : des flux sensoriels. La série de Refn est en cela l’événement le plus important de l’année : un ruisseau hypnotique d’une puissance folle.

Thomas AÏDAN