70ÈME FESTIVAL DE MANNHEIM-HEIDELBERG

par Jérôme d’Estais

Après une année en ligne pour cause de pandémie, le 70ème festival de Mannheim-Heidelberg a cette fois bien eu lieu et la nouvelle direction, aux côtés de son équipe de sélectionneurs, après trente années d’une même gestion, pu enfin montrer ce dont elle était capable, proposant une sélection d’une rare exigence, apte à épouser les formes du cinéma contemporain, les étirant, les repoussant, comme l’appellation de ses trois sélections pouvait le laisser espérer (On the RisePushing the Boundaries, Film Experiences et Facing New Challenges), sans pourtant jamais laisser le public, auquel il est avant tout destiné, sur le bas-côté. 

Ainsi, le Festival atteint immédiatement le but auquel la Berlinale aspire depuis maintenant deux années, à savoir dresser un pont, politique aussi bien qu’artistique, entre un cinéma classique et un autre plus expérimental, un peu à l’image de Grosse Freiheit quien deux scènes - une très belle et lyrique de libération, dans une backroom, sur une chanson de Mouloudji et une dernière, programmative, comme plus contrainte – dévoile deux possibles voies du cinéma allemand. À l’image de Vortex aussi, le dernier film de Gaspar Noé, enfin à nu, se cherchant, émouvant car organique ou de The Employer and the Employee de Manuel Nieto Zas, film uruguayen, sévère en apparence et pourtant plus généreux, avec ses personnages autant qu’avec sa forme, que ceux du poseur Reygadas, du professoral Haneke ou du scolaire Farhadi, auxquels on pourrait trop vite tenter de l’associer. Entre le bien intentionné et pesant drame social de Stéphane Brizé (Un autre monde) heureusement porté par un Vincent Lindon, digne (et seul ?) héritier d’une lignée de comédiens français (de Gabin à Ventura…) et le plus éclaté et assez inventif Rien à foutre d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, l’hommage à Claude Lelouch, Andrea Arnold et celui à Bettina Brokemper, la productrice de Lars von Trier et d’un certain nombre de films de l’Ecole berlinoise, le Festival ose, dans une sélection au multiples éclats (du formidable dernier film de Claire Simon, Vous ne désirez que moi, à Shen Kong de Chen Guan ou comment enfin réussir à faire un film, inventif, poétique, en temps de pandémie et de confinement) le grand écart, se profilant, avec le couronnement final d’Il Buco, le beau dernier film de Michelangelo Frammartino, comme un des plus passionnants festivals en Allemagne (sinon en Europe), capable sur-le-champ de jouer dans la cour des grands.