Portrait de siècle

Under the Skin de Jonathan Glazer

Under the Skin de Jonathan Glazer

Il est peut-être trivial de se demander comment le cinéma filme le siècle dans lequel il s’inscrit. Pourtant, rares sont les films à même de se laisser complètement traverser par l’esprit d’une époque. Comment délimiter les films qui évoquent le xxie siècle de ceux qui font l’impasse ? Peut-on englober les films de genre, la science-fiction ? Un documentaire est-il nécessairement en prise avec le monde ? Que faire des films d’anticipation ? Après tout, Pasolini avait déjà tout prédit de notre société, alors même qu’il était du siècle précédent ! Concrètement, il y a deux écoles, ceux qui pensent que la captation du réel se fait uniquement par un enregistrement au premier degré et ceux qui acceptent l’allégorie, l’élégie, le mythe pour raconter le siècle – Lav Diaz par exemple. Qu’il soit de genre ou plus classique, un film peut être au centre de notre époque, et non à la marge, tant qu’il s’approche au plus près de ce que nous vivons. Lorsque Pascale Ferran tourne à Roissy BIRD PEOPLE (2014), elle plonge littéralement dans la métaphore qu’imposait son titre, mais, dans le même geste, elle filme aussi les grandes publicités hypocrites pour les banques placardées partout. Tout comme Jonathan Glazer investit brillamment le contemporain et sa solitude écrasante avec son personnage de nouvelle-née numérique – Scarlett Johansson, décidément abonnée aux « rôles du siècle » – dans UNDER THE SKIN (2013). Toute la question est de savoir de quelle manière les images traduisent politiquement et intelligemment notre époque. Face à la timidité du cinéma américain dans la création d’un barrage artistique à la pensée nauséabonde de Donald Trump, c’est finalement le premier long métrage magnifique de Nicolas Peduzzi, SOUTHERN BELLE, qui, par le truchement du visage d’une jeune États-Unienne riche héritière, donne à voir avec une précision de maître toute une ambiance d’un pays plongé dans un flou idéologique constant. Avec l’avènement des caméras numériques, beaucoup se sont crus capables de filmer le monde dans toute sa diversité, mais raconter l’essence de ce qui le constitue représente une gageure. Poser sa caméra et enregistrer le « réel » ne suffisent pas, il faut explorer avec réflexion et intelligence, retranscrire une « vérité », mettre en scène tout simplement. C’est un « regard » que l’on attend de la part des œuvres. Comme l’exprime la sociologue Nathalie Heinich dans ce numéro, l’époque doit rimer avec l’intemporel, soit faire se rencontrer le réel tel qu’il est avec les sentiments, qui eux traversent les siècles. L’ensemble qui suit propose un voyage à la fois temporel et matériel, mais aussi sentimental – le cinéma est-il notre contemporain ? Voilà le genre de brèches que nous avons souhaité ouvrir, que nous vous invitons à poursuivre en partageant vos textes sur redaction@laseptiemeobsession.com. Un florilège sera publié dans le prochain numéro. Puisse cette obsession commune se prolonger.

Thomas AÏDAN