Spécial cadeaux : notre sélection livres

Conseils de lecture à l’approche des fêtes

par Jérôme D’Estais

 
Yasujiro Ozu, carnets 1933-1963, 50€

Yasujiro Ozu, carnets 1933-1963, 50€

 

Carnets 1933-1963, Yasujiro Ozu (Carlotta)

13 juin 1954 : « N’ai pas bougé de la maison. Bain. Gueule de bois tenace. Ai changé la place des ignames et des mauves dans le jardin ». Publiés dans leur version révisée et intégrale, ces carnets de Yasujiro Ozu, cinéaste – immense – des bouleversements de la société japonaise depuis la cellule familiale, à propos duquel Jean Douchet disait qu’il donnait à la caméra, la place du chien dans la famille, sont ceux de la vie d’un homme, de sa jeunesse au derniers instants, au travers de son quotidien, ordinaire, répétitif. Un agenda zen dans lequel, tel un métronome, le cinéaste consigne, jour après jour, heure après heure, repas, nuages, siestes, tels des petites traces d’un présent qui, déjà n’est plus, redessinant un ordre dans lequel tout semble s’emboîter et avoir la même importance, le travail, l’alcool ou la disparition des proches, l’intime et la Grande Histoire. Une somme unique et précieuse en miroir d’une œuvre filmique minimaliste et toute en retenue, par une metteur en scène ici documentariste minutieux de sa propre existence autant que penseur du temps qui s’écoule, laconique et à la fois poétique, dans laquelle les litotes, les silences, les ellipses, les blancs en disent plus que des romans entiers sur l’existence, la solitude et la mort, nous emmenant, au-delà de ce qui est consigné sur la feuille, vers un ailleurs que nous pouvons tous reconnaître. 


 
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Potemkine et le cinéma halluciné / une aventure du DVD en France, Maxime Lachaud (Rouge profond)

Né de sa reconnaissance de spectateur envers la vidéo et les vidéo-clubs, mais surtout de son propre de désir de lecteur rêvant de tenir entre les mains un ouvrage « qui aborderait le cinéma non pas par le biais du genre mais sous un angle singulier, celui des objets et de nos rapports à eux dans nos parcours de vie et de cinéphiles » car « ceux-ci contiennent notre mémoire, passée et future », Maxime Lachaud offre, avec Potemkine et le cinéma halluciné / une aventure du DVD en France, un hallucinant voyage au long cours dans l’univers DVD en France, folle immersion au sein de d’une maison éditant (et distribuant) des films sans poser « de limite » à son imaginaire, lieu de rencontre bien plus que magasin, autant que dans la tête et les tripes du cinéma onirique. L’ouvrage, personnel, généreux, splendide, structuré de manière polyphonique, pour reprendre les mots de Lachaud, consacre ainsi l’œuvre éditoriale vidéo de Potemkine, pionniers et acteurs incontournable du paysage cinéphilique, en allant à la rencontre de ces passeurs, afin de les laisser raconter leur histoire, leurs passions, leur vision, leurs difficultés aussi, pendant que son auteur se propose de continuer le voyage, en passant au crible cette histoire parallèle du cinéma épousant la sienne, au gré de ses coups de cœur et de ses souvenirs, n’oubliant pas au passage de donner la parole aux compagnons de route, à la « nébuleuse Potemkine », d’Agnès B. à Yann Gonzales, en passant par Gaspar Noé ou Bertrand Mandico, créateurs ou parti prenantes de ce cinéma halluciné et hallucinant. Le trip ne serait pas complet s‘il n’était, comme toujours chez Rouge profond (maison à laquelle, il faudra bien un jour aussi consacrer un livre !), accompagné d’une généreuse et rare iconographie. Unique et impressionnant.


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Journal intime, Richard Burton (Séguier)

« Mon manque d’intérêt pour ma propre carrière, passée, présente et future, est pratiquement total. Je crois que toute ma vie j’ai eu secrètement honte d’être acteur, et plus je vieillis plus j’en ai honte ». Près de huit années pour enfin découvrir depuis leur parution aux Etats-Unis et dans la plupart des pays européens, le Journal intime de Richard Burton, flamboyant comédien de théâtre se rendant sur les plateaux comme il irait à la mine, passant complètement à côté du Nouvel Hollywood, mais féru de littérature et fin observateur de son époque et de ses contemporains. Ainsi, ces journaux couvrant la période de 1966 à 1971 où Burton y fut le plus prolixe, sont-ils un portait acerbe et réjouissant d’un microcosme passé au scanner de manière souvent hilarante (Brando, Beatty, Rex Harrison, Losey, Sinatra, Delon observés à la loupe), par un homme, lucide sur lui-même et ses addictions, sur le regard des autres face à la célébrité et au couple qu’il formait avec Elizabeth Taylor, rêvant simplement de pouvoir aimer sa femme en toute liberté et de finir de lire son livre.


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Le Dormeur, Didier Da Silva (Marest Editeur)

Portrait inspiré du cinéaste Pascal Aubier, « vieil orphelin », fils de Gascogne (film méconnu, lui aussi, que j’avais, pour ma part, découvert adolescent, à la télévision et dont la verdeur et l’énergie m’avaient saisi), héritier presque ruiné, compagnon de la Nouvelle Vague et accessoirement assistant de bistro de Godard, Le Dormeur doit son titre à un film de neuf minutes, lui-même adapté du Dormeur du val ou plutôt de la vision qu’en avait Aubier depuis l’enfance). Un film composé d’un travelling à la Louma, le premier dans l’Histoire du cinéma, auquel Aubier pensait devoir la paternité au Andreï Roublev de Tarkovski, avant que ce dernier ne lui en dévoile les coutures, l’affublant du même coup de la couronne de « maître » virtuose, préfigurant la trace qu’allait laisser cette œuvre dans l’histoire de la technique et donc du cinéma, du Locataire de Polanski au 1941 de Spielberg. Un film découvert sur les réseaux sociaux, par un Didier Da Silva, immédiatement saisi et bien décidé à partir sur les traces du réalisateur, pour le célébrer ici au travers d’un verbe inspiré et mouvementé. Une langue comme un torrent, dense, musicale, un vaste cours de rivière, telle celle dans laquelle il rêvait de filmer Elisabeth, fait de mouvements et de pauses, longues phrases pleines de disgressions telles ces contorsions qu’il voulait, dans un second film qui montrerait le décor du Dormeur, faire épouser à la Louma, de changements de style, picaresques ou lyriques, de registres, de sauts dans le temps, de dérèglements rimbaldiens, comme autant d’alluvions finissant tous par se rejoindre et couler avec plus de force encore, afin de célébrer ce bel été de 1974 et un artiste, bien vivant celui-là.


 
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A la recherche de la lumière, Oliver Stone (Editions de l’Observatoire)

Étrange livre que celui d’Oliver Stone, à l’image d’une carrière chaotique, bourrée d’hyperboles testostéronées et de traumas, d'egos et de tiraillements (politiques, artistiques), inégale et parfois surprenante, traversée de fulgurances. Stone s’arrête, dans ce qui semble être le premier tome de ses mémoires, à Platoon (et à la préparation de Wall Street), se concentrant surtout sur sa carrière de scénariste frustré rêvant de voler la place aux réalisateurs, ce qui permet au passage quelques portraits réussis (Alan Parker, James Woods, De Palma, Pacino) et quelques jolies anecdotes telle que celle où, producteur du Mystère von Bülow avec Ed Pressman, il va en proposer la réalisation à un Billy Wilder préférant tourner l'histoire du Pétomane... A la fois honnête et bourré de contradictions, cet autoportrait du réalisateur de JFK se rêvant en dernier Maverick d’Hollywood alors qu’il n’a, en vérité, eu de cesse de chercher la reconnaissance (du père, des critiques et de Pauline Kael en particulier, de ses paires et d’Hollywood...), se révèle, au final, touchant et donne envie de découvrir la suite. 

Dans l’ordre d’apparition : Potemkine et le cinéma halluciné : une aventure du DVD en France, 45€, Le Dormeur, 14€ ou 25€ (avec DVD), Oliver Stone : à la recherche de la lumière, 23€, Journal intime, 24,90€