Le puissant Alterlove de Jonathan Taïeb

par Xavier Leherpeur

Alterlove de Jonathan Taïeb.

Paris. Début de soirée. L’envoûtante Kim Higelin se trouve dans un café, endurant un rendez-vous vaguement courtois avec un type qui ne l’est nullement et finira par la planter sans ménagement. Le désarmant Victor Poirier (interprète de Jean-Edouard dans la série Culte), beau gosse hâbleur, prend la place de l’inélégant jeune homme sans vraiment demander son avis à la principale intéressée. L’histoire pourrait s’arrêter là. Elle ne fait pourtant que commencer. Ensemble, côte à côte d’abord, puis de plus en plus près l’un de l’autre, ils vont dériver dans un Paris énigmatique, beau comme un rêve éveillé, allant de bars dansant en Fury Room (salle de défoulement) tout en passant par un étrange karaoké où l’on entonne le Charablabla. Une nuit pour apprendre à se connaître, passée à se scruter, se deviner, à fissurer une pudeur profonde et à apprendre à baisser (un peu) la garde. Dix ans après le magnifique STAND, fiction anxieuse sur l’homophobie dans la Russie d’aujourd’hui, Jonathan Taïeb signe un troisième film moins sombre mais faussement insouciant, empruntant les trois unités du théâtre classique (lieu, action, temps) pour dessiner une carte des amours contemporaines, dans une capitale bigarrée dans les sous-sols de laquelle se nichent des lieux interlopes. Sept étapes comme autant d’‘épreuves’ au terme desquelles nos deux chérubins fragiles et attendrissants prendront un nouveau départ. Filmé sans moyen mais avec une vraie et profonde conviction cinématographique, cet ALTERLOVE est sans cesse surprenant. Tout ce que l’on croit deviner du film, de son genre (la rom com) à son principe de narration cyclique (hommage à CLÉO DE 5 À 7), se dérobe à chaque instant, rebattant les cartes de ces évidences pour réinventer ce chaotique et bouleversant pas de deux amoureux. La légèreté primesautière du principe de la rencontre inopinée cède peu à peu à une mélancolie insidieuse et persistante. Le film avance vers le matin et sa lumière, mais refuse pour autant de dissiper les opacités de ses deux personnages et les inhibitions profondes qui les entravent. Un chemin tracé à l’inverse des clichés, s’achevant sur une belle émotion cristalline et inquiète qui ne vous lâche pas à la sortie de la salle. 

En salles le 23 avril (Distribution : Perspective 7)

THOMAS AIDAN